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Full text of "Eloge de Michel de Bourges: discours prononcé à l'ouverture de la Conférence ..."

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Bloge de Michel de Bourgee 
1304 











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MICHEL DE BOURGES 



DISCOURS 



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M. Paul VEYSSEYRE 

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SECRÉTAIRE DE LA CONFÉRENCE 



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ÉLOGE 






DE 



MICHEL DE BOURGES 



DISCOURS 



PRONONCE PAR 



M. Paul VEYSSEYRE 

AVOCAT A LA COUR d\\PPËL 
SECRÉTAIRE DK LA CONI'g&gKCE 

A l'ouverture de la Conférence des Avocats 
Le 3 Décembre 1904 



IMPRIMÉ AUX FRAIS DE L'ORDRE 



PARIS 
ALCAN-LÉVY, IMPRIMEUR DE L'ORDRE DES AVOCATS 

117, RIE RÉAILMUR, II7 

1904 






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ÉLOGE 



MICHEL DE BOURGES 



DISCOURS 



PRONONCE PAR 



M. Paul VEYSSEYRE 

AVOCAT A LA COUR Ii^APPEL 
SECRÉTAIRE DE LA CONFÉRENCE 



Monsieur le Bâtonnier, 
Messieurs et chers Confrères, 

Au commencement de 1831 1 dix-neuf jeunes gens, 
parmi lesquels les chefs du parti républicain, Gui- 
nard et Cavaignac, avaient à répondre d'un complot 
formé pour substituer la République à la Monar- 
chie de Juillet. Michel de Bourges, inconnu au 
Barreau de Paris, défendait un affilié obscur d'une 
conjuration problématique ('). 

(Ii Je tiens a cxnrinuT loulc ma reconnaissance an beau-fils de 
Michel de Bourges, M. Simon Lob ru n qui a bien voulu me conïlcr 
ses papiers de famille ol à M. L. Martin, députa du Var, qui a mis 
a ma disposition les nombreuses plaidoiries de son compatriote, rcr 
cueillît s par ses soins; leur obligeance m'a. été précieuse pour la docu- 
mentation d'un sujet aussi lointain. — J'ai aussi une vive gralilude Si 
MM* Emile 01!iviei\ CuzciL, Henri Brisson qui ont connu Michel da 
Bourges et qui m'ont lait part de leurs souvenirs. 



— 6 — 

Ce provincial, plaidant pour un comparse* se 
révèle soudain comme le tribun d'une opposition 
redoutable. Il avait partagé pendant « les trois Glo- 
rieuses » les illusions républicaines des insurgés les 
plus hardis. Sa profonda déception, ses rancunes 
contre le nouveau roi ranimaient d'une passion 
révolutionnaire. 

Il personnifiait avec tant d'éclat, en 1830, la résis- 
tance du Berry aux célèbres ordonnances de 
Charles X, que le garde des Sceaux de la nouvelle 
monarchie lui avait offert les fonctions de 
Procureur général à la cour de Bourges ( x ). Mais 
loin de saluer en la personne du duc d'Orléans « la 
meilleure des Républiques a>, comme le général 
Lafayette y conviait le peuple de Paris, ce démo- 
crate accusait Louis-Philippe d'usurper la Révo- 
lution : il s'apprêtait à le combattre, et non à le 
servir, 

Sans doute, les entreprises d'une aristocratie 
rebelle aux leçons de rémigration et d'un clergé 
avide de ressaisir son influence avaient rapproché 
sous le dernier règne les fractions disparates de 
l'opposition légale et révolutionnaire. Sans doute 3 
les audacieuses ordonnances, qui congédiaient la 
Chambre, et restauraient le pouvoir absolu, avaient 



[i) Papiers de famille de M. Simon Letotrun, beau-fik de Miched de 
Bourges. — Voir aussi le discours de rentrée de M. V avocat général 
Dau&rche, actuellement conseiller a la Cour de cassation, « Michel 
de Bourges et le parti républicain », prononcé h l'audience solennelle 
de Qa Cour de Bourges, le 3 novembre 1882. [Sire» imprimeur-éditeur, 
a Bourges), (p. 14.) 



— 7 — 

réalisé la fusion de leurs forces éparses. Commu- 
niant dans la haine du passé, la bourgeoisie libérale, 
les écoles, les faubourgs de Paris s'étaient ligués 
pour défendre les libertés publiques dans une 
émeute fraternelle. Mais bientôt l'heureuse fortune 
des armes avait dissocié les troupes de l'insurrec- 
tion, rendues par la victoire à leurs divergences 
passées. 

Il suffisait à la bourgeoisie, pour désarmer ses 
rancunes, qu'une monarchie moins distante et plus 
familière lui garantît avec ses faveurs le tranquille 
monopole du pouvoir parlementaire ; mais les 
plus militants, les plus humbles de ses auxiliaires 
cherchaient sans lef découvrir le profit de leurs 
efforts. 

Que leur importait, à eux, l'extension du pays 
légal, l'abolition du principe héréditaire à la 
Chambre Haute, et quelques promesses de libertés 
précaires avec une nouvelle dynastie ? N'atten- 
daient-ils d'un régime nouveau que le retour du 
drapeau tricolore, et qu'un déplacement dogmatique 
de la souveraineté, symbolisé par le serment de 
Louis-Philippe à une Charte nouvelle ? Etait-ce 
pour assurer le triomphe des classes moyennes* 
qu'ils avaient dispersé les soldats de Charles X et 
reconnu pour chef un roi-citoyen ? 

Après une trêve de quelques mois, les républicains 
organisent pour le service de leur cause les décep- 
tions de tous ces mécontents. Des sociétés politiques 



— 8 — 

se reforment, des tentatives d'émeute, des agitations 
dans la garde nationale, une active propagande de 
presse, raniment l'effervescence séditieuse de Paris 
et des grandes villes. On escompte déjà de nouvelles 
journées où le Roi des barricades tombera sur d'au- 
tres barricades (*). 

Mais Louis-Philippe entendait montrer à la 
France qu'il se tenait pour définitivement investi du 
droit de la gouverner. Après quelque délai de con- 
descendance pour les insurgés de la veille, devenus 
ses adversaires, il les défère sans relâche à la 
répression des tribunaux- 
Pendant les premières années du règne, l'activité 
du Parquet ne se dément pas. En vain, le jury indo- 
cile répond négativement, d'ordinaire, aux plus 
séduisantes variétés d'accusation : complot, outrage 
à la personne du roi, excitation à la haine et au 
mépris du gouvernement, provocation à la haine 
entre diverses classes de la société. En vain, les 
accusés et leurs défenseurs transforment les salles 
d'assises envahies par leurs amis en clubs, où les 
déclarations et les plaidoiries deviennent des pré- 
textes à propagande ; le procureur général inlas- 
sable poursuit sa tâche de pacification politique ( 3 )- 
Le complot des Dix-Neuf fut la première ren- 
contre entre les Républicains déçus et les Orléanistes 



{1} V. Thureau-Dongin, Histoire de la Monarchie de Juillet, T. i. 

Ch. m. 

(âï V. Thureau-Dangin 1 lïistaire de la Monarchie de Juillet, T, ir, 
p. S et sulv. 



— 9 — 

satisfaits ( l ). Michel de Bourges débutait à Paris, 
dans une cause où le Parquet du nouveau régime 
s employait à la conversion de ses adversaires ( 2 ), 

Dès qu'il se lève, les chancelantes certitudes du 
réquisitoire cèdent à l'effort d'une dialectique redou- 
table : les dépositions complaisantes tombent sous 
les coups d'une discussion si rigoureuse qu'elle 
semble mener à une vérité scientifique; car, en dépit 
de ses passions, Michel de Bourges a toute la minu- 
tieuse patience, toute l'inflexibilité d'un géomètre. 
Il sait que ceux-là seuls dédaignent les démonstra- 
tions précises qui ignorent la stricte ordonnance des 
raisonnements impérieux ; il sait que les déduc* 
tions vivent de l'accent, du geste, et que l'évidence 
rationnelle à laquelle il se condamne, va légitimer 
ses magnifiques emportements de tribun, Il saura 
faire le procès du Pouvoir, dès qu'il aura gagné sa 
cause : viennent maintenant les menaces, les cris de 
révolte, la persécution les aura par avance justifiés. 
Et le plaidoyer s*achève par une évocation inatten- 
due. Michel de Bourges adjure le roi-citoyen au nom 
du roi légitime. Il rappelle le passé judiciaire du 
régime disparu : il énumère les exécutions san- 
glantes de la Restauration. Les Bourbons ont voulu 
étouffer l'opposition, ils l'ont comprimée ; enhardis 
par une décevante accalmie, ils ont promulgué les 



(11 V, Thiit^au-Dungiii, Histoire de la Monarchie de Juillet, T. r t 
p. 583 et suïv. 

(2) V. Gazelle des Tribunaux des G, 7, 3, îï, 10, 11, 12. 13, il et 
15 avril 1831. 



— 10 — 

lois les plus impopulaires, loi des substitutions, du 
droit d'aînesse, du sacrilège. Pour ressusciter une 
société morte, les voici conduits au coup d'Etat : les 
ordonnances paraissent, Maïs l'insurrection éclate, 
et le roi félon à la Charte disparaît dans la tour- 
mente de Juillet... Défendre le régime nouveau 
contre l'entraînement de ses haines, ce sera, n'est-il 
pas vrai, affermir sa stabilité ; assurer à des adver- 
saires la liberté de le combattre, c'est préserver 
Louis-Philippe du destin de Charles X : l'acquitte- 
ment s'impose dans l'intérêt même du pouvoir. 

Il faudrait, Messieurs, relire cette entraînante 
page d'histoire pour se sentir pénétré, si loin qu'il 
soit dans le passé, par l'irrésistible puissance de 
Michel de Bourges. Il faudrait surtout sa donner 
la vision de cette orageuse audience, où son ardente 
parole faisait revivre les colères du règne de Char- 
les X, et l'enthousiasme d'une Révolution saluée de 
tous comme une délivrance, pour avoir la mesure de 
l'art d'un avocat, qui liait la cause dun client poli- 
tique aux passions unanimes de ses juges... Un 
acquittement général suivit sa plaidoirie qui avait 
fini dans une ovation : l'inconnu d'hier était passé 
maître : Michel de Bourges avait droit de cité au 
Barreau de Paris Ç). 

Il n'était pas de Bourges... en dépit des apparen- 
ces : mais il y avait plaidé ses premières causes, 



Hl Pinard, Barreau français au xix* siècle 
p. 2GQ, 20i 



Michel de Bourg e$> 



— ii — 

attiré par l'amitié d'un jeune avoué à la Cour ( l ). 
Il demeura fidèle au barreau de ses débuts. C'était 
un usage démocratique, depuis la première Révolu- 
tion, quand des avocats ou des hommes politiques 
célèbres portaient un nom répandu, de les distinguer 
en rappelant leurs attaches provinciales. Suivant, 
après 1830, l'exemple du nouveau garde des Sceaux, 
son ami Dupont, devenu Dupont « de l'Eure », l'avo- 
cat Michel emprunte à sa ville adoptive le titre plus 
sonore, que son talent devait consacrer, et devient 
« Michel de Bourges ». Mais il avait, en réalité, vu 
le jour au pays « des beaux parleurs » : il venait de 
Provence, la terre classique de l'éloquence spon- 
tanée. 

Les circonstances tragiques de sa première 
enfance ont profondément troublé son imagination 
ardente. Après Thermidor, aux temps anar chiques 
du Directoire, où la Terreur Blanche désolait le 
midi de la France, son père, un humble bûcheron du 
Var, fut massacré une nuit de Noël avec tous les 
rouges du village ( 2 ). Ces lugubres événements, dont 
les siens ne cessaient de s'entretenir, devaient pré- 
parer sa formation politique ; sans les dons excep- 
tionnels de son esprit, ils eussent fait de lui, sans 
doute, cfuelque « soldat obscur du carbona- 



<1) M' Brisson, lu père de M. H. Brisson, président de la Chambre 
des dépulfe. 

(2) Papiers de famille de M. Simon Lebrun. Voir aussi Un Républi- 
cain de la veille : Michel de Bourges; M + Paul Janet. Beiue politique 
et littéraire, 17 avril 1880 (p. 982-983). 



— 12 — 

risme » Ç), inutile complice de conspirations avor- 
tées. 

Le hasard d'une camaraderie avait mis entre les 
mains de Michel de Bourges enfant un code Napo- 
léon ( a ) : depuis qu'il savait lire, il s'était passionné 
pour ce livre austère. Lire, et apprendre le code à 
dix ans, n'était-ce pas là, Messieurs, une prédesti- 
nation juridique ? Mais quelle distance séparait 
encore d'une salle d'audience le petit paysan du Var, 
qui balbutiait d'instinct les articles de la loi ! Il en 
fût resté, sans doute, à ces rudiments! de connais- 
sance, si l'éclat de ses facultés précoces n'avait 
éveillé des sollicitudes généreuses. Conduit au 
collège d'Aix, grâce à l'intervention romanesque 
d'un riche propriétaire voisin, le jeune Michel fran- 
chit brillamment la première étape des études; puis 
il connut les déceptions qui suivent souvent les suc- 
cès universitaires. Chargé de parchemins officiels, 
il constatait la médiocrité de leur valeur d'échange; 
dans une heure de découragement, il s'engage aux 
armons du roi Louis XVIIL 

Mais la fantaisie apparente de sa destinée allait 
le ramener à sa vocation naturelle. Un sergent de 
ses camarades, accuse de désertion à l'intérieur, et 
traduit devant le Conseil de guerre de Marseille, 
le choisit pour défenseur. Le déserteur avait 



(1) M" feambort, nvocot aux Conseils du roi. Discours prononcé par 
E, Couinrd h il'ouverlurc de? ]a CDHlV-nencc de slage des avocals ft 
la Cour do cassa Unn T le 12 encombre IDs'cl tp. 30+) 

ffcjMlchfel de Rourfrés, Eluda hhtrjTaphitiite. Mugon-Iiarbaroux (p. 11.) 
Libraire Flammarion. Marseille. 




— 13 — 

méconnu les délais d'une permission parcimo- 
nieuse, pour assister sa mère mourante Michel de 
Bourges puise dans sa tendresse filiale les arguments 
d'une émouvante défense, et fait acquitter son ami ; 
les soldats enthousiastes ramènent en triomphe 
l'accusé et l'avocat Ç)> Révélé à lui-même, et con- 
fiant dans quelques promesses de talent, le jeune 
sergent bientôt libéré, vint à Paris poursuivre son 
éducation juridique. 

Etudiant et maître d'étude tour à tour, il parve- 
nait encore à se mêler aux agitations de la jeunesse 
libérale, à prendre part aux réunions des sociétés 
secrètes ; sans doute, il fut carbonaro. Deux hommes 
qu'il rencontra ont exercé sur lui une influence déci- 
sive : Buonarotti, un conspirateur ami de Robes- 
pierre et de Babœuf, f ascinait son imagination par 
un culte farouche de l'action révolutionnaire allié à 
d'audacieuses théories de rénovation sociale ; mais 
le savant commentateur de Montesquieu, Destutt de 
Tracy, séduisait son esprit de logicien par les rassu- 
rantes constructions du philosophe des trois pou- 
voirs ( 3 ). Michel de Bourges oscilla souvent entra 
les tendances opposées de ces initiateurs politiques. 
Mais au début de sa carrière, aux jours les plus. 
rétrogrades de la Restauration, et surtout aux 
temps troublés de la monarchie de Juillet naissante, 
il avait la hantise de la guerre des rues et des Bar- 
ricades. 



(1) 'Discours de M. Qmjarcbje, précité (p. >i). 

(2) Discours de M. Douaipche, précité (p. % 



— 14 — 

Alors, sa séditieuse rhétorique en fait l'impétueux 
défenseur des procès de complot et de presse, où 
s'achève la déroute des nombreux insurgés hostiles 
au nouveau roi. Aux assises de la Seine, à la Cour 
des Pairs, il se mesure sans désavantage avec les 
plus illustres de ses confrères, les Philippe Dupin, 
les Bethmont, les Delangle : comme il les dépassait 
tous en audace, il parvint à la renommée d'un avocat 
de parti. 

Une poursuite en diffamation intentée par Casi- 
mir-Périer va lui permettre de défendre Tune des 
puissances les plus discutées de ce temps, la Presse, 
qui venait de bénéficier en 1830 d'une libération 
conditionnelle. 

La Tribune, une jeune feuille républicaine, qui 
devait bientôt s'abîmer sous les amendes, dénonçait 
le caractère suspect d'un marché de fournitures. 
Casimir-Périer et le maréchal Soult avaient chargé 
un commerçant libéral, M. Gisquet, devenu depuis 
lors préfet de police, d'acheter en Angleterre des 
fusils pour la garde nationale. M. Gisquet avait 
acquis secrètement un lot de 200.000 fusils qui dor- 
maient à la tour de Londres : les milices bourgeoises 
étaient armées de ces mousquets pacifiques. 

Mais le rédacteur en chef de la Tribune, Armand 
Marrast, découvre que naguère la Banque Casimir- 
Périer commanditait la maison Gisquet ; il 
apprend que les fusils sont détestables, que l'indus- 
trie française a offert, en temps utile, des armes 




— i5 — 

meilleures et à meilleur compte. Tirant de ces pré- 
misses les conclusions d'un adversaire politique, il 
qualifiait provisoirement de concussionnaires les 
ministres responsables, exigeant sur l'heure des 
explications. Pour toute réponse, Casimir-Périer 
le défère à la Cour d'assises ('). 

La Cour vit défiler à sa barre tous les lieutenants 
de la Révolution récente : les parlementaires du 
mouvement, les ministres d'hier, Laffitte, Mauguin, 
Dupont de l'Eure, dirent dans leurs dépositions 
discrètes toute l'impression de malaise que cau- 
saient au pays des marchés scandaleux. Le minis- 
tère fut convaincu de négligence. 

Mais Philippe Dupin, au nom de la partie civile, 
établit que l'appréciation des marchés Gisquet rele- 
vait du contrôle parlementaire. A la Chambre, les 
ministres plaideraient peut -être, pour leur défense, 
les circonstances atténuantes ; aux Assises, ces 
fonctionnaires publics se plaignaient d'une imputa- 
tion calomnieuse ; la condamnation du diffamateur 
s'imposait. Le futur Bâtonnier s'élevait enfin contre 
le despotisme naissant d'une presse envahissante ; 
et, dans une image hardie, fanée, sans doute, par la 
cruelle fantaisie d'une littérature inconstante» il 
dénonçait en elle avec une indignation épouvantée : 



(T) V. Le procès de$ [usils Gisquet. Brochure publiée par te journal 
la Tribune, en 1831. 

{I) V. Procès GisqueL Gazelle des Tribunaux des 30, 31 octobre; 
V'\ 2, 3 et 4 novembre 1831. 



— 16 — 



« non pas le flambeau qui éclaire, mais la torche qui 
« incendie, m 

Michel de Bourges s'efforça de séduire le jury par 
le mirage de la vraisemblance. Les marchés Gisquet 
alarmaient toutes les consciences. Comment ne pas 
suspecter la loyauté de leurs auteurs, si experts à la 
conduite de leurs affaires propres, et qui mettaient 
au service de l'Etat la plus onéreuse maladresse ? 
Mais surtout, la diffamation était dubitative : dans 
son article, Armand Marras t interrogeait le prési- 
dent du Conseil et le Ministre de la guerre sur ua 
pot~de-vin qu'il les soupçonnait d'avoir reçu; que le 
ministère répondît et se justifiât, l'allégation tom- 
bait d'elle-même.,. 

La Presse, émancipée d'hier, voulait traiter de 
pair avec le pouvoir ; Michel de Bourges exalta sa 
jeune liberté et définit ses prérogatives, A ses yeux, 
le journaliste n'est pas tenu à la critique des sour- 
ces : la fonction qu'il exerce implique le droit de 
répandre les rumeurs qu'il a recueillies, dût-il léser 
un intérêt privé, dès qu'elles atteignent les déten- 
teurs de la puissance publique. S'il est vrai que le. 
polémiste remplisse une salutaire mission d'éclai- 
reur social, la liberté qu'il revendique n'est-elle pas 
le corollaire des libertés politiques ? N'est-il pas lui- 
même le coadjuteur du Parlement ? Qu'il s© fasse 
donc l'écho sonore de tous les groupes d'opposition^ 
il n'excède point ses immunités ; Armand Marrast 
s'était borné à réfléchir les accusations unanimes du 



— 17 — 

parti républicain. Cette conception des privilèges 
de la Presse, qu'une lente expérience devait faire 
passer dans le fait, sinon dans le droit, alarma la 
prudence native des jurés du juste milieu ; ils pré- 
féraient les raisonnements sentencieux de la partie 
civile. Armand Marrast fut déclaré coupable, et 
Michel de Bourges éprouva la déoeption des thèses 
prématurées devant la justice criminelle du bon roi 
Louis-Philippe. 

S'il faut en croire le plus brillant polémiste répu- 
blicain du régime de Juillet, « la souveraineté sous 
les armes n (') résidait alors dans la garde natio- 
nale, N'êtes-vous pas, citoyens, disait Armand Car- 
rel, les successeurs du peuple en ses Comices, les 
lointains héritiers des légions au Champ de Mars ? 
Et de fait, chaque aimée, au jour anniversaire de 
son orageux avènement, le Roi passait en revue ses 
milices de prétoriens débonnaires, comme pour s'as- 
surer à leur contact qu'ils consentaient à lui renou- 
veler son mandat. Les gardes nationaux, par des 
acclamations variées, lui signifiaient leur satisfac- 
tion ou leur mécontentement politique, et le roi- 
citoyen rentrait au Château tout imprégné de leur 
volonté. Le soir, ces héros d'un jour regagnaient leur 
demeure dans le cliquetis des armes, parant d'un 
lustre guerrier leur prudhommie bourgeoise, res- 
plendissants de gloire sous la poussière de la. revue 
royale. 

(11 AroiK Caire!, Le National Articles des il, 13, 24, 25 juillet 133^ + 
Cité par Thureau- Darwin. T. n, p. 219. V. aussi Histoire générale pu- 
bliée sous la direction (te Lavisse et Rambaud. T, x, p. 377, 



— 18 — 

L'an troisième du règne, cette solennité militaire 
fait naître des incidents qui favorisent Michel de 
Bourges d'une nouvelle cause politique. 

Le ministère voulait fortifier Paris ; mais ces pro- 
jets alarmaient la citadelle des révolutions. Il 
semblait que le feu des forteresses allait se retourner 
contre elle, que le Roi élevait de nouvelles Bastilles. 
Et les classes moyennes, très fières au souvenir des 
« trois Glorieuses », entendaient conserver l'exercice 
au moins éventuel du droit à l'insurrection \ l ). 

Une puissante association républicaine, la pre- 
mière en date des Sociétés pour les droits de 
l'homme et du citoyen, spéculait sur cet état d'es- 
prit ( 2 ). Divisée en sections de moins de vingt 
personnes rattachées entre elles comme par un lien 
fédéral, elle rayonnait dans le pays tout entier, où 
elle préparait l'éclosion des idées démocratiques. 

Le parti qui l'avait fondée décide de se présenter 
aux Parisiens comme le défenseur de leurs préro- 
gatives révolutionnaires. Les gardes nationaux 
irrités devaient accueillir le Roi aux cris : « A bas 
les Bastilles » ; les républicains, escomptant la 
vertu séditieuse d'une interjection historique, 
appuieront leurs protestations. On convient d'une 
prise d'armes conditionnelle. 



(1) V. Thureau-Dangin. T. n, p. 216 et suiv. 
Sand voir Albert le Roy, G. Sand et ses amis, p. 338 à 363. P. Ollen- 

(l\ Sur le rôle de la Société des Droits de V Homme. — V. Thureau- 
Dangin. T. n, p. 218 et suiv. 

V. aussi Tchernoff. Le parti républicain sous la monarchie de luiuei. 
p. 272 et suiv. — V. Weiss, Histoire du parti républicain. Ch. IV, p. 98 
et suiv. 



— 19 — 

Mais le gouvernement, averti, s empresse de sur- 
seoir à des projets impopulaires : la garde nationale 
s'apaise, et la condition suspensive de l'émeute ne se 
réalisant pas, la revue du roi est à peine marquée 
par d'innocentes bagarres. 

Elles suffisent au ministère pour tenter d'anéan- 
tir la Société des droits de l'homme et les groupe- 
ments similaires. On arrête les présidents de deux 
sections militantes, auxquels on adjoint les plus 
bruyants manifestants de la revue, et quelques Poly- 
techniciens surpris chez un serrurier qui détenait 
des armes. Ce fut le complot des Vingt-Sept, où 
Michel de Bourges défendait plusieurs élèves de 
TEcole Polytechnique ('). 

Cette cause solennelle avait fait naître au Château 
d'ambitieuses espérances, Il s'agissait, Messieurs, 
de vaincre aux Assises pour triompher au Parle- 
ment. L'arrêt de la Cour deviendrait un titre aus 
rigueurs de la Chambre pour le droit d'association. 
Le réquisitoire, répandu d'avance à travers le pays, 
dénonçait à l'indignation des électeurs les périls 
suscités à la France et à la nouvelle dynastie ( a ). 

Les Vingt-Sept menaçaient à la fois le gouverne- 
ment et Tordre social. Ne se réclamaient-ils pas de 
la déclaration des droits, rédigée par Robespierre 
et repoussée par la Convention ? Ils propageaient 



(1) Gazette des Tribunaux des 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, %l 
et 23 dêcmbne 1833. 
fë) Procès des vingt-sepL Publication du Populaire t p, 3G, 






— 20 — 

ainsi une définition de la propriété dans laquelle un 
éminent jurisconsulte avait cru découvrir la loi 
agraire elle-même. « Les républicains veulent 
<( réduire tous les propriétaires à la portion con- 
« grue », répétait le plus spirituel bourgeois du 
régime, le procureur général Dupin. Le mot, Mes- 
sieurs, avait eu une rare fortune. Aux Assises, le 
ministère public accusait formellement les Vingt- 
Sept de faire revivre les doctrines des Egaux. Il 
fallut toute la persuasive dialectique de l'un des 
défenseurs pour réfuter les paradoxes d'une glose 
tendancieuse. Sans doute, le vertueux Convention- 
nel dont se réclamaient les accusés préconisait déjà, 
en 1793, les inquiétants principes de l'assistance 
obligatoire et de l'impôt progressif, mais respec- 
tueux de la plus récente évolution du droit de pro- 
priété, je veux dire la vente des biens nationaux, il 
tempérait ces nouveautés subversives par l'indivi- 
dualisme le plus rassurant. Les jurés de 1833 
pouvaient dès lors juger sans alarmes et écouter 
sans terreur la défense des accusés (*). 

Michel de Bourges apporte sa précision et sa 
verve accoutumées à faire valoir le caractère fictif 
de l'inculpation. Quelle n'était pas alors, Messieurs, 
l'habileté des avocats du roi à surprendre la nais- 
sance d'un complot ! De quel art ils savaient relier 



(1) Sur ce très curieux procès de tendance voir dans la publication 
du Populaire précitée, La plaidoirie de l'avocat Dupont. Voir aussi 
Louis Blanc : Histoire de dix ans. T. iv, p. 118, 119. Voir Tchernoff 
précité, p. 28Z et 294. Weiss précité, p. lte. 




— 21 — 

avec des attaches ténues les pièces délicates, sur 
quoi reposent ces crimes incertains qui surgissent 
du droit pénal aux jours les plus troublés des com- 
pétitions politiques ! Jamais, j'imagine, œuvre plus 
élégante, mais plus décevante aussi que le complot 
des Vingt- Sept ne fut offerte à l'appréciation d'un 
jury ! Mais jamais aussi adversaire plus osé ne 
combattit réquisitoire plus spécieux ! 

L'accusation n'avait su apercevoir que les traces 
légères d'une conjuration éventuelle. Dans une étin- 
celante discussion , Michel de Bourges établit qu'un 
complot sous condition n'est pas punissable, puis- 
que Taccord des volontés est soumis à un événement 
incertain. 

D'ailleurs, quelle est la genèse abstraite du com- 
plot? Un dessein séditieux germe dans une âme 
révolutionnaire ; à son contact s'éveillent des aspi- 
rations identiques ; puis le projet d'attentat mûrit, 
se prépare, chemine, jusqu'à ce qu'il descende un 
jour dans le domaine des faits ; on se concerte pour 
le réaliser : on convient d'un plan d'action, du lieu, 
de l'heure où l'on surprendra ses adversaires. Alors, 
mais seulement alors, le complot est né à la vie juri- 
dique. 

Armé de cette définition redoutable, Michel de 
Bourges convie les jurés à l'examen de la cause. 
Pour la première fois, les Vingt-Sept, Polytechni- 
ciens, gardes nationaux, sectionnaires des droits de 
l'homme, sont réunis aux Assises par les soins of fi- 









— 22 — 






cieux du Parquet. Jusqu'à l'instruction et à 
l'audience, ils s'ignoraient les uns les autres : les 
débats l'ont clairement établi, Où s'est lié le faisceau 
de leur action commune 1 Quand donc, unissant des 
désirs de bouleversement social, ont-ils combiné des 
résolutions criminelles ? Poursuivrait-on des hosti- 
lités politiques sous couleur de conjuration ? Et le 
gouvernement se sent-il si menacé, que groupant de 
ses mains des inimitiés isolées, il découvre par pro- 
vision et vu l'urgence des complots imaginaires ? 
Mais quel juiy s'abaisserait jusqu'à réprimer les 
créations complaisantes d'une police inventive ? Le 
pouvoir attend vainement des juges du droit com- 
mun les services exceptionnels des justices politi- 
ques. Les audaces tribuni tiennes de Michel de 
Bourges triomphent une fois de plus d'une préven- 
tion téméraire : les Vingt- Sept sont rendus à la 
liberté. 

Tirant profit de ces leçons répétées, le Gouverne- 
ment défère à la Chambre des Pairs transformée en 
Haute- Cour, les cent soixante-quatre républicains 
poursuivis entre les deux mille insurgés arrêtés 
d'abord après l'inutile prise d'armes d'avril 
1834 0). 

Jules Favre assurait qu'une procédure aussi 
touffue, mise en valeur par des avocats éprouvés* 



(1) V. sur le procès d'avril, Thuiv nu-Dan gin, T. n. Ch. XÏI, p, 29^ 
et suiv. V. aussi Louis Blanc : lunaire de dix ans. T. rv T Ch, X. V. 
d'autre part Weiss, p. 13G et suïv. précité. 



— 23 



n'avait qu'une issue légale, l'amnistie. Spéculant 
sur l'évidente lassitude des pairs de France chargés 
d J ans et d'honneurs, il voyait par avance les bancs 
du Luxembourg désertés au cours d'interminables 
débats, la lice judiciaire fermée, faute de magis- 
trats, et le pouvoir conduit au pardon par la défail- 
lance de ses juges- Il proposait donc d'adopter pour 
la défense une ingénieuse tactique d'obstruction. 

Michel de Bourges avait de plus hautes visées, La 
barre de la Cour des Pairs lui semblait une admi- 
rable tribune. Les accusés d'avril avaient réuni leurs 
amis les plus éloquents des Lettres, du Barreau, de 
la Presse,., Dans le plus pittoresque des comités de 
défense, Lamennais coudoyait Barbes et Armand 
CarreL Qu'était-ce pour eus: qu'un tournoi judi- 
ciaire ? Michel de Bourges rêvait de prosélytisme 
politique. La défense des accusés d'avril servirait 
de prétexte à la diffusion de leurs doctrines : la 
Chambre-Haute deviendrait comme le foyer de la 
jeune République. Malgré Jules Favre, ces desseins 
audacieux séduisent presque tous les défen- 
seura ('). 

Mais le président de la Cour des Pairs avait 
résolu d'épargner à l'ordre public de nouvelles agi- 
tations. Il refuse d'admettre à sa barre les conseils 
des accuses et désigne d'office les avocats... Les 
républicains les repoussent, déclarant bien haut que 



(1) Sur les divergences de Jules Favre et de Michel de Bourges, 
V. L. Blanc précité, p + 376, 379. V. aussi George Sand, Histoire te 
ma vie. T. iv, p. 345, 346. 









j 



— 24 — 

privés de l'assistance des leurs, ils s'abstiendront de 
paraître aux audiences. La Cour essaie de les con- 
traindre ; mais les accusés poussent de si violentes 
clameurs que des expulsions multiples ne triomphent 
pas d'un tumulte prémédité. Les Pairs du Royaume 
ne savaient se résoudre ni à juger sur pièces^ ni à 
entendre ces défenseurs séditieux.» Au dehors, les 
journaux républicains, le National, la Tribune, sti- 
mulaient la résistance de leurs amis captifs ; dans 
le Charivari* Daumier s'amusait cruellement de ces 
juges indécis ; le comité de Défense, enfin, publiait 
une lettre collective. Je ne résiste pas, Messieurs, au 
désir de vous la citer : 

a Persévérez, citoyens, montrez -vous comme par 
a le passé, calmes, fiers, énergiques ; ce que vous 
ii voulez, la France le veut : la France ne consentira 
« jamais à voir des juges là où il ny a pas de défen- 
u seurs. Sans doute, après vous avoir mis dans 
« l'impuissance de vous défendre, la Cour des Pairs 
« aura le triste courage de vous condamner. Vous 
m accepterez avec une noble résignation cette nou- 
« velle iniquité ajoutée à tant d'autres : l'infamie 
« du juge fait la gloire de l'accusé. 

a Salut et fraternité... » ('). 

Sous le déchaînement des passions, les formes 
héroïques du langage révolutionnaire ont refleuri. 
Il semble que la grandiloquence de ces pamphlétaires 

n) Citôe p, Louis Blanc, Histoire de itiu ans. T. iv, Ch. X, p, 3ÏX). 
391, 



attardés suffisait à excuser un libelle offensant. Les 
Pairs de France, dont quelques-uns avaient servi 
avec zèle trois gouvernements divers, et qui avaient 
su défendre contre l'instabilité des régimes qui pas- 
sent, les utiles privilèges des charges qui demeurent, 
tour à tour sénateurs de l'empire, pairs d'un roi 
légitime, pairs d'un roi d'insurrection, ne leur 
devaient-ils pas au moins quelque sceptique indul- 
gence \ Mais le triomphe de la République parais- 
sait si lointain en 1835 que des poursuites furent 
résolues. 

Aussitôt Michel de Bourges se déclare Fauteur 
de la lettre incriminée, et déférant à la citation de 
la Chambre-Haute, il se présente devant elle. Quelle 
ne fut pas la surprise des pairs du royaume ? Ils 
attendaient un tribun téméraire : ils virent venir à 
eux le plus délié des avocats. 

Au contact de la barre, Michel de Bourges a 
recouvré tout son sang-froid ; et ce jour-là, il sait 
concilier avec tant d'art et de dignité les antinomies 
d'un double rôle, alliant aux nécessités de la défense 
les hardiesses mesurées de l'apostolat politique,, 
qu'il faillit désarmer ses juges irrites. En dépit du 
stoïcisme ambitieux d'une péroraison imprudente : 
« J'aime mieux, s'écriait-il, comme cet autre répu- 
blicain qui sut mourir à Utique, finir en prison que 
de siéger à côté de toi, César », les sénateurs moder- 
nes du régime censitaire se contentèrent de lui infli- 
ger un mois de prison et dix mille francs d'amende 






I I 



— 26 — 

qui suffisaient à sa gloire. Les faveurs d'une persé- 
cution royale consacraient sa foi républicaine. Dis- 
pensé de ce fait de concourir à la défense des accusés 
d'avril, il s'abstint d'une cause qui dura toute une 
année. Bientôt, cependant, une spirituelle évasion 
des principaux coupables allégeait la tâche de la 
Chambre-Haute, et cette solution élégante d'un pro- 
cès encombrant, que ni Jules Favre, ni Michel de 
Bourges n'avaient su prévoir, rendit enfin à sa 
destinée législative la Haute Cour déjà lassée de ses 
attributions judiciaires ( l ). 

Michel de Bourges expiait dans la prison de sa 
ville adoptive les excès c< de sa magnifique inso- 
lence », quand une femme Ty vint prier pour une 
cause plus délicate. Conduite par un gardien gagné 
à sa fantaisie, George Sand apparaît une nuit dans, 
la cellule du tribun et lui demande sur l'heure une 
consultation ( a ). Le soir même, M. Dudevant, son 
mari, l'avait menacée* diffamée devant leurs 
enfants ; elle entendait l'écarter légalement de sa 
vie, dût-elle pour y parvenir compromettre son 
repos. Michel de Bourges rédige la plus romantique 
des requêtes, et cette procédure est bientôt suivie du 
succès de la requérante. Et comment. Messieurs, le 
mari de George Sand se fût-il utilement défendu 
dans une instance en séparation ? Il n'avait pour 
arme qu'une lettre, où, très loyalement, sa femme lui 



(1) Sur i'évesion des républicains, V. Louis Bienc précité. T. iv, 
p. 417 et suiv> 
{?) George Sand. Histoire de ma vie. T. iv, p. 3S1, 382. 



- 27 — 

confiait une inclination naissante qu'elle avait vic- 
torieusement combattue. Dans un beau mouvement 
oratoire, Michel de Bourges demandait aux juges 
s'ils fonderaient une décision de justice sur des 
présomptions « d'adultère moral ? » (') 

Et cependant, quelques mois auparavant, il 
l'avait surprise en pleine crise sentimentale. Meur- 
trie par d'orageuses passions, mais délivrée enfin de 
leur contrainte, elle aspirait à de nouveaux enthou- 
siasmes, à de nouvelles fièvres, où l'amour, enfin, 
n'aurait plus de part... Un soir, à Bourges, des amis 
les présentent l'un à l'autre; aussitôt le verbe domi- 
nateur de l'avocat d'Avril s'impose à l'auteur 
<T « Indiana ». Dans une promenade qui dure jus- 
qu'à l'aube à travers les rues de la vieille cité muette, 
il parle, infatigable, jusqu'au matin (*), Et jugez, 
Messieurs, de son éloquence: à une femme désabusée 
de douloureuses tendresses, il offrait des diversions 
politiques et humanitaires, il essayait de la gagner 
à la cause républicaine, et George Sand engageait 
au service de la République un talent renouvelé à 
des sources d'émotion et d'inspiration jusque-là 
inconnues. 

La voici républicaine ce soir, demain socialiste, 
L'effusion d'une instinctive pitié pour les humbles 
lu; tenait lieu de doctrines précises. N'était-ce pas 
alors le temps fabuleux du socialisme français ? Les 
théories scientifiques d'outre-Rhin n'avaient point 

(1) Gazette des Tribunaux du 30 Juillet, 1056. 

{%) George 1 Sand. Histoire de ma vie, T\ tv, p. 31D. 



— 28 — 

tari encore ses utopies généreuses : tous ses apôtres, 
Cabet, Fourier, Saint-Simon, fortifiaient d'obliga- 
tions morales des aperçus économiques sommaires, 
et réclamaient une répartition des richesses con- 
forme à leur idéal de justice. George Sand, refai- 
sant le rêve bucolique de la cité platonicienne, se 
perdait dans un communisme nuageux. Un jour, 
elle offre à la république future ses terres de 
Nohant ; mais, par un illogisme de néophyte, 
influencée encore par ses errements passés, elle 
instituait Michel de Bourges répartiteur pour le 
compte de la communauté, faisant acte de proprié- 
taire dans le temps même où elle abdiquait la pro- 
priété 0. 

Le romancier et l'orateur se plaisaient dans leurs 
entretiens à imaginer une société idéale. D'accord 
sur la forme du gouvernement, sur le principe d'une 
' propriété collective, le sort réservé à l'art et aux 
artistes faisait naître leurs plus vives controverses. 
Le défenseur d'Avril, uniquement soucieux 
d'héroïsme civique, flétrissait l'action dissolvante de 
ces dangereux aristocrates, les artistes, baladins ou. 
poètes, impudents amuseurs des peuples énervés, et 
préoccupé de faire régner la vertu, sans pourtant 
restaurer la Terreur, il les bannissait de sa répu- 
blique ( 2 ). 



(1) George Sand, Lettres d'un voyageur, Michel de Bourges y est 
désigné comme dans l'Histoire de ma vie, sous le pseudonyme d'Eve- . 
rard. V. la lettre du 2 avril, p. 194, 195. 

(1) V. G. Sand, Histoire de ma vie précitée. T. jv, p. 329, 330. 



— 29 — 

Mais George Sand lui opposait la vision d'un art 
tout social. Elle eût voulu élever à la Beauté non pas 
une chapelle étroite pour une secte jalouse d'initiés 
exclusifs, mais une vaste église où les plus simples 
fussent conviés aux joies supérieures d'un culte 
accessible à toutes les pensées. Il semble bien, Mes- 
sieurs, à relire u Les Lettres d'un voyageur » que les 
prières athéniennes du disciple aient su vaincre les 
rigueurs Spartiates du maître, en faveur d'une 
république moins austère ('). 

Mais surtout, sous l'influence de Michel de 
Bourges, George Sand a découvert la solution la 
plus littéraire, la plus puérile, la plus touchante 
aussi du problème social Combinant ses réminis- 
cences passionnelles et ses aspirations humani- 
taires, elle rêve d'utiliser les affinités de sentiment 
pour apaiser les compétitions d'intérêt, niveler les 
conditions humaines, et faire régner une ère défini- 
tive de justice bienheureuse. Qu'un jeune homme 
riche et beau aime la plus vertueuse et la plus 
pauvre des jeunes filles, la question sociale est par- 
tiellement résolue. Mais, qu'à son exemple, tous les 
individus d'une société orientent résolument leurs 
inclinations vers une fin aussi morale, l'humanité 
tout entière connaît enfin l'infaillible remède à ses 
angoisses et à ses maux,.. Des romans généreux et 



(1) V. G. £and. Lettres d'un voyageur. Lettre du 2G avril» p. 1S3 et 
suiv, V. aussi sur cette idée la correspondance de G, Sand et de Flau- 
bert (octobre 186G) et une autre lettre. Carrespondaiict' de G, Sand. 
T. vi, p. 204, B05, 



— 30 — 

naïfs naissent de cette conception utilitaire de 
l'amour : entre les fantaisies romantiques de 
<( Lélia » et les églogues du Berry, desi œuvres célè- 
bres en 1840, oubliées de notre temps, « le Péché 
de M. Antoine», le « Meunier d'Angibault » sont 
issues d'une veillée oratoire où l'un des nôtres, 
Messieurs, a transformé une amoureuse en 
citoyenne ('). 

Michel de Bourges» avait le don de cette familière 
éloquence qui fleurissait aux âges antiques dans les 
écoles d'Ionie. Ce fut un causeur merveilleux. La 
haute culture de son esprit se traduisait « en réa- 
lités oratoires ( 2 ) », quand au contact d'une pensée 
hostile ou amie, il avait deviné un adversaire à 
combattre ou un adepte ! à raffermir. Vous l'avez vu, 
Messieurs, transformer, en quelques heures, une 
artiste en prosélyte républicaine : à Lyon, en 1850, 
il laisse de jeunes avocats sous l'impression pro- 
fonde d'un entretien élevé. Les réunissant auprès 
de lui à l'issue d'une audience, il leur parle des 
philosophes grecs vers lesquels le ramenaient ses 
inclinations naturelles ; puis il leur dit son déisme 
imprécis, sa foi dans une Providence inconnue > 
tremblant à la pensée de la fragilité humaine, cher- 
chant dans son ardente improvisation comme une 
preuve matérielle de l'immortalité pour l'esprit. 
<( Nous étions tellement fascinés en l'écoutant, écrit 

(1) Au sujet de l'influence exercée par Michel de Bourges sur G. 
Sandi, Voir Atebert le Roy, G. Sand et ses amis, p. 338 à 363. P. Ollen- 
dorff. 1903. 

(2) Expression de M. Emile OUivier. 



— 31 — 

le plus illustre de ses auditeurs, M. Emile Olli- 
vier, que nous nei prenions pas garde à la fuite 
du temps » ( l ),.. Ne pensez-vous pas, Messieurs, 
qu'il a été plus qu'il n 5 a paru, celui qui exerçait sur 
de hautes intelligences un ascendant aussi souve- 
rain 1 Du moins, le souvenir de son talent s*est fixé 
en des livres amis ; et n'est-ce pas pour ceux dont 
les voix se sont tues la plus durable, sinon Tunique 
survivance de gloire que laisse la parole fugitive 1 

Michel de Bourges avait dominé longtemps le 
tumulte des audiences politiques, mais quand fut 
close Père des grands procès républicains^ sa grande 
voix seteignit dans l'apparente sécurité d'une 
monarchie rassurée. 

Vers le milieu du règne, il traverse silencieuse- 
ment le Parlement, agité par les compétitions de 
Thiers et de Guizot. Surpris d'abord par les que- 
relles des partis, il les aperçut bientôt d'accord sur 
les principes, divisés par les hommes. Il passa 
parmi eux un jour, et ce fut assez ( 3 ), Ce démocrate 
répudiait les illusions d'une majorité docile à une 
politique de classe, et refusait de confondre les 
vœux d'une aristocratie de contribuables avec les 
aspirations de toute la société française. 

Désabusé de la politique active, il prend une lon- 
gue retraite jusqu'aux journées de février, et, dans 
l'isolement paisible de sa ville d'adoption, il dirige 



(1) V. M, Emile ûllivier. Le a^-neuf janvier, p. G7 ci euiv. 

{%) Michel <le Bourges, dans son discours sur la Révision. V. ïofra. 



— 32 — 

ses recherches vers les spéculations de ]a politique 
générale. 

En 1850, au déclin de sa vie, Michel de Bourges 
paraît à l'Assemblée législative. Il y apportait des 
préoccupations d'économiste qui ont dû surprendre 
les parlementaires de son temps. Jadis, aux jours 
lointains du procès d'Avril, élargissant en logicien 
rigoureux le principe égalitaire, il inclinait au 
socialisme agraire de Babœuf ('), Mais depuis lors, 
les leçons de la vie avaient fléchi son intransigeance, 
il avait relu Aristote après Platon, et convaincu 
désormais que u les hommes se dévoreraient pour le 
« superflu si tous possédaient le nécessaire, qu'il 
« eût fallu pour assurer l'équilibre des sociétés 
« niveler les passions et non pas seulement les for- 
« tunes » ("), il avait abjuré la République d'Ica- 
rie, gardant de son communisme défunt une 
permanente inquiétude des problèmes sociaux. 

Une demande de revision constitutionnelle pro- 
posée par les droites lui permit, dans un magnifique 
discours qui consacra sa renommée parlementaire, 
de faire la synthèse de ses méditations politiques. 
Il donna, ce jour -là, une si haute idée de son talent 
à Lamartine, que le grand poète, séduit sans doute 
par la physionomie originale de l'orateur, s'attarde 
à composer un portrait prestigieux ; « Nous avons 
« vu apparaître, dit-il, un homme de granit, d'une 



fl) V, G. Sand. Histoire de ma vie précise. T. tv, p. 329 + 
(2) V. M- Paul JaneL Article précité, p. 9S8. 



— 33 — 



« stature forte, carrée, d'aplomb sur elle-même 
« dont les lignes coupées à angle droit comme celles 
« des statues gauloises, ont quelque chose de rus- 
« tique et de primitif qui transporta Fœil dans une 
« autre race.,, La front proéminent sur les yeux, 
« la vue usée, aidée par le cristal, les joues pâles et 
« creuses comme celles d'un cénobite, les cheveux 
« rares, incultes, le poing lourd sur la tribune 
u comme le marteau sur l'enclume. Nous étions tout 
« regard et tout oreilles pour cet oracle si bien drapé 
« en costume inculte de la démocratie suprême. 
« Nous ne savions ce qui allait sortir de là, nous 
« tremblions qu'il n'en sortît des mystères, des ter~ 
u reurs, des tempêtes... Que nous avons été magnifi- 
« quement trompés I » ( x ). 

Pour Michel de Bourges, Messieurs, une question 
primordiale s'impose à la jeune République. Il con- 
vie ses partisans à concentrer l'effort de leur pensée 
et de leur expérience sur le redoutable débat qui 
divise le capital et le travail : « Je n'aime la Répu- 
tt blique, disait il, que si elle me promet la conci- 
« liation de ces deux forces ennemies et solidaires ; 
a faute par elle de s J y employer et d'y réussir, je 
<f l'abandonne à sa destinée » ( a ). 

Dédaignant ce jour-là les formes changeantes du 
pouvoir politique, il demandait à un gouvernement 



(1) V- Le Conseiller du Peuple. Journal d-e Lamartine {3" année, 
p. 172). 

(2} Michel de Bowrgas. Discoure sur la Révision. Séance du 16 juil- 
let 1851. V. le Moniteur Universel, Juin-déoembre 1S51 p. 2.024-2.025 
et 2,034-2.035-2.036, 

3 



— 34 — 



! 



nouveau ds renouveler les attributions de l'Etat ; 

il revendiquait pour la puissance publique, trans- 
formée à ses yeux par une révolution, un rôle 
d'arbitre social qui résultait pour lui du suffrage 
universel Dans F avènement de ce nouveau souve- 
rain, Michel de Bourges saluait une aube de paix 
et de quiétude : désormais plus d'agitations 
violentes, plus de soulèvements populaires.,. 

Jusqu'aux journées de février, les Parlements 
reflétaient les aspirations d'un groupe, légiférant 
pour les classes moyennes. Que ceux-là seuls se par- 
tagent le pouvoir qui justifient de leurs aptitudes 
par le signe éminent de la capacité politique, par 
la richesse, avait dit Guizot.., 

Que la loi soit librement discutée par les manda- 
taires de tous les groupes et de tous les hommes, 
répondait le défenseur d'Avril : il n'est plus de 
pays légal. Une représentaion intégrale des riches 
et des pauvres, des faibles et des forts* des intérêts 
les plus contraires qui s'entrechoquent au sein des 
sociétés, va réaliser enfin une législation d'apaise- 
ment qui réconcilie les classes ennemies, Michel 
de Bourges rêvait sans doute une assemblée où 
fussent réunis les délégués professionnels de toutes 
les activités nationales... 

Admirable vision, Messieurs, que cette image 
sereine d'un conseil arbitral du Travail et du Capi- 
tal ; que ce congrès idéal de pacifistes sociaux, 
dominant les tempêtes du monde économique I 

Mais par quelle prodigieuse intuition, par quel 



— 35 — 

merveilleux instinct d'une mission aussi nouvelle, 
le suffrage universel naissant eût-il spontanément 
transformé les attributions et les caractères des 
Parlements ? Comment cette assemblée de 1850, 
tourmentée par l'issue d'un duel sans merci avec un 
président de coup d'Etat, se fût-elle consacrée à la 
tâche de concorda que Michel de Bourges lui assi- 
gnait ? Les aspirations de ce haut esprit qui eût 
voulu associer les énergies républicaines pour une 
médiation grandiose, étaient vouées, par leur 
nature même, par de douloureuses réalités politi- 
ques, à l'indifférence de ses contemporains. 

Michel de Bourges avait foi dans l'avenir de la 
seconde République. Cet idéologue voyait dans la 
démocratie une indestructible force morale : ce 
juriste concevait " le Peuple » comme une entité 
logique, comme une personne civile, capable die 
sauvegarder des droits dont elle eût conscience. Des 
cimes nébuleusesi de l'abstraction, il perdait de vue 
les agitations d'une ondoyante multitude, constante 
en ses appétits, mobile en ses désirs... Ce fut, Mes- 
sieurs, sa plus belle, sa plus éloquente erreur : elle 
allait lui inspirer un mot historique, cruellement 
démenti par l'histoire. 

Quelques jours avant le Deux Décembre, les ques- 
teurs proposaient à l'Assemblée législative plus que 
jamais anxieuse, de voter une loi qui investît son 
président de prérogatives militaires : il aurait le 
droit de requérir la force armée pour la défense du 
Parlement. Dans la crainte d'une restauration 






monarchique, la gauche s'unit aux partisans de 
l'Elysée, pour combattre le projet soutenu par les 
droites, Coup d'Etat d'une majorité hostile, coup 
de force de Bonaparte, la cause républicaine ne 
courait-elle pas mêmes périls ? D'ailleurs, entraînée 
par Miche] de Bourges, la Montagne s'en remettait 
à une Providence mystérieuse, « II n'y a point de 
« danger, s'écriait le tribun, mais s'il y a un danger, 
« il y a aussi une sentinelle invisible qui vous garde, 
« je n'ai pas besoin de la nommer, c'est le Peu- 
« pie » (% 

Bientôt, dans une tragique matinée, les républi- 
cains cherchaient vainement leur sentinelle 
défaillante. Le peuple, dont l'insurrection vivifiait 
naguère une second ei République, laissait passer 
indifférent les soldats de l'Empire et voyait disper- 
ser ses mandataires, sans que l'héroïsme de quel- 
ques-uns suscitât ses représailles ! 

C'est que l'armée révolutionnaire n était pas la 
foule homogène et lucide que Michel de Bourges 
avait idéalisée. Il n'apercevait pas deux classes 
populaires distinctes, vivant côte à côte et cepen- 
dant fermées, presque hostiles Tune à l'autre : ici, 
les paysans de France, ignorants de la vie publique, 
résignés, à demi-satisfaits depuis que la Consti- 
tuante avait morcelé pour eux le patrimoine des 
ordres privilégiés ; là, les ouvriers des villes plus 



(1) Michel de Bourses, Discours sur la proposition des questeurs. 
Séance du 17 novembre 18âL V. le Moniteur universel, juin, dtfœmbro 
1851, p. 2873- 



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éclairésj mais nerveux, vivant une vie précaire dans 
Tanarchique mêlée des efforts industriels. Ces der- 
niers seuls, espérant d'un régime nouveau quelque 
sécurité, quelque bien-être, se levaient pour les 
révolutions... Puis, désabusés des changements 
illusoires de la politique et rendus pour un temps 
à leur passiveté d'autrefois, ils s'inclinaient devant 
un nouveau maître. L'inertie de la France rurale, 
les rancunes des classes ouvrières, décimées aux 
journées de juin, assuraient le succès du coup 
d'Etat, 

La carrière de Michel de Bourges est achevée, Il 
semble que ce républicain romantique, dont la bru- 
meuse politique cheminait dans le rêve, devait finir 
avec cette République de poète : il survécut à peine 
à la Restauration impériale, meurtri par un dou- 
loureux exil volontaire, brisé par les déceptions 
sanglantes de deux Révolutions (*). 

C'est ainsi, Messieurs, qu'a passé Michel de 
Bourges, obscur et célèbre, « laissant un nom sans 
laisser des traces (') ». Trop clairvoyant pour 
admettre que l'intérêt d'une caste pût s'identifier 
avec le bien public, il accabla de ses dédains la béati- 
tude égoïste d'une bourgeoisie satisfaite. Epris à la 
fois d'action et de philosophie politique, pénétré 
d'une foi superstitieuse en la conscience populaire» 
tourmenté par la divination du problème social, ce 



(1J Michel dœ Bourges mourul & Montpellier, le 16 mars 1853. 
(2) M, Paufl Janet, .Article précité, p. 1. 






— 38 — 

fougueux orateur, devenu le théoriciea apaisé d'une 
ère nouvelle, ne fut pas l'homme de son temps : il 
apparaît comme un précurseur. Sa figura déjà loin- 
taine, îmais grandie par le prestige d'une ombre 
demi-séculaire, est celle d'un grand avocat, prodigue 
de gestes et de mots héroïques, d'un ancêtre très 
généreux et très bon de la démocratie française. 







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